PRESENTATION DE L'ART ABORIGENE



Quel est donc cet art ?

Après l'exposition des Magiciens de la Terre en 1989, se tenait en novembre 1997 à Paris L'art aborigène d'Australie : le rêve de la fourmi à miel. Quatre communautés du Northem Territory y sont invitées : Papunya, la Terre d'Arhnem, Turkey Creek et Utopia. En 1989, déjà, les neuf artistes venaient du Northem Territory.
Ces artistes représentent des "portions" du renouveau, un art australien "des champs". Ils racontent à leur façon le Dreaming. C'est le temps où les puissants ancêtres surnaturels, comme les Hommes Eclairs (Lightning Men) ou le serpent Arc-en-Ciel (Rainbow Serpent) ont créé le monde par leurs déplacements. Telle est leur Credo.

Papunya (la demeure de la fourmi à miel) est une triste petite communauté créée de toute pièce par la politique d'assimilation gouvernementale. Puis, un professeur d'instruction civique, Goeff Bardon, demanda aux enfants de faire une fresque sur le mur de l'école. Le support était nouveau, les motifs étaient traditionnels, les participants nombreux et de tout âge... La discussion fut longue, le Rêve de la fourmi à miel en naquit. Ainsi se répandit chez les aborigènes le désir de peindre. On en arriva rapidement à une peinture pointilliste sur toile (qui représente généralement le voyage d'un ancêtre du Dreaming), et la production devint abondante.

Dans les années 1970, lorsque les droits aborigènes commençaient à être reconnus, se développa dans les communautés un retour aux terres : l'Outstation mouvement. Ainsi se multiplièrent, autour de la station d'élevage d'Utopia, un certain nombre de campements fixes. Un programme éducatif enseigna aux femmes la technique du batik, puis de l'acrylique sur toile.

La Terre d'Arhnem est un espace immense, situé à l'extrême nord de l'Australie L'art y est figuratif, d'où son succès en occident. Nombre d'oeuvres ont été piégées, depuis de longs siècles, dans une roche couleur ocre, dans de somptueuses galeries, au milieu d'une végétation qui ne connaît que chaleur et humidité. Les expositions se parcourent sans ticket, la seule contribution demandée au public est le déplacement jusqu'à ces lieux. Les termes de l'échange ressemblent donc à un accomplissement des deux protagonistes.
La peinture sur écorce est une forme plus récente, qui remonterait au XIXème siècle. Ce support a beaucoup de succès à l'étranger. D'une part, il est transportable, mais, de plus, la représentation s'accorde pleinement avec le support. Les traits sont croisés, les motifs sont souvent géométriques et les couleurs restent basiques.

En occident, on perçoit l'art aborigène par ces quelques formes d'expressions "authentiques". En effet, l'emplacement géographique des communautés invitées est la plupart du temps le même, à savoir au nord des tropiques, dans le territoire du nord, à quelques milliers de kilomètres d'écart...
Comment, dans un esprit de curiosité esthétique et un souci de montrer les cultures minoritaires, persister à ne parler de l'art de cette seule région lorsque nous savons qu'elle ne représente qu'un dixième de la population aborigène répartie sur un territoire quinze fois supérieur à la France ?

Un art communautaire

L'art indigène d'Australie présenté en occident est plus assimilé à des communautés qu'à des artistes. Ils sont des artisans au service d'un peuple. Il existe plusieurs raisons :
- Une communauté est, tout d'abord, le témoignage d'un communisme tribal. Toute personne qui sort du groupe est condamnée par le groupe. La communauté prime sur l'individu.
- Pour l'oeil occidental, l'art aborigène est un élan créatif, une variation de motifs abstraits. Or, l'art primitif indigène est une reproduction "personnalisée" de récits correspondant à des itinéraires inscrits dans des paysages et des lois (Laws). L'art est "régional", car il intègre des sites territoriaux auxquels l'artiste est spirituellement attaché. La démarche e st donc plus le témoignage vivant d'un héritage géographique et d'un lyrisme communautaire autour de croyances, qu'un moyen d'expression personnel. Dans des endroits où la terre n'est que feu et poussière, bien qu'il ne soit pas rare de rencontrer un grand nombre de peintres vous racontant leurs escapades en Europe ou aux Etats-Unis, il ne faut pas considérer leur succès comme une source de prestige communautaire. Au sein des communautés, aucun renom n'est donc tiré du succès. Argent ? Le profit est distribué entre tous les membres de la communauté, et ceux qui vendent leurs productions vivent comme les autres : ils campent en plein air ou entassés dans des maisons surpeuplées.

Un art à part entière

Les aborigènes sont définitivement des artistes à différents points de vue.
Il y a d'abord cette richesse de la tradition orale et cet art de conter que les aînés maîtrisent avec verve et respect. C'est un grand plaisir d'écouter ces "conteurs du désert" vous transporter avec lyrisme dans cet "espace-temps du rêve" où les ancêtres se présentent comme la source de la sagesse ; Homère et Virgile n'ont qu'à bien se tenir !
Puis, que le récit soit mythique, onirique ou anecdotique, il est souvent ponctué d'un schéma effectué à même le sable. Il indique la répartition spatiale des personnages et animaux, leurs déplacements ainsi que les principaux éléments de l'histoire. Nancy Munn, voyageuse des années soixante, les a appelés : "histoires de sable".
Dès que le récit est terminé, le narrateur prend toujours soin de bien effacer le schéma du revers de la main. Ce geste, quasiment instinctif, est effectué pour éviter toute interprétation d'un passant. Il nous renvoie au caractère éphémère de l'art aborigène.
Les "rêveurs du désert" ont aussi cet élan permanent de retranscription et d'analyse. Ainsi, une cicatrice, un nuage une empreinte, la texture d'une roche, le chant d'un oiseau... tout signe est sujet à une interprétation pleine d'humilité et de considération pour leur environnement.
Enfin, chaque forme d'expression graphique traditionnelle, auxquelles se sont ajoutées les peintures acryliques, jouent un rôle primordial dans l'éducation. C'est ainsi que sont "réfléchies" les expériences (individuelles et sociales) et que sont transmises les connaissances. Ces peintures sont à la fois histoire, géographie et mythologie.

Et avant ?...

Sur une carte du monde publiée en 1929 par les surréalistes, où l'avant-garde attribue une taille proportionnelle au pays selon son niveau de créativité artistique, l'Australie était à peine représentée. Par contre, les îles du Pacifique découvertes récemment y figuraient largement.
Le dadaïsme, le cubisme, le surréalisme n'ont connu aucune retombée en Australie. Pendant l'entre-deux-guerres, les salons ne considéraient l'art aborigène que comme un témoignage de déclin d'une tradition engagée vers l'oubli.
L'expression artistique aborigène ne survivra que sous les noms de Revel Cooper (1933-1983) et de Ronald Bull (1942-1979), peintres paysagistes de tradition occidentale. Les échos restèrent cependant limités.

Une aspiration identitaire

Il faut signaler que les Australiens "blancs" participèrent activement à cette renaissance datant du début des année 1970. A la différence de l'opinion de Béatrice Comte, du Figaro Magazine, qui souligne : "Vers 1970, pour contrer la politique gouvernementale d'assimilation, ils décidèrent de fixer et de montrer leurs créations. Apparaître plutôt que disparaître."
Tel le phénix renaissant de ses cendres, l'art aborigène s'est réveillé dans une logique d'expression d'un héritage envolé. Une histoire de migrations forcées, de camps de concentration, voire même d'extermination, fit passer l'art d'une action de désir, à un acte de nécessité.
L'homme aborigène est donc à l'origine de ce retour aux sources. Une aspiration identitaire guidait bien plus le pinceau qu'un acte revendicatif "pour contrer la politique gouvernementale d'assimilation".
Mais, toute cette révolte était, et est toujours, intrinsèque à l'oeuvre. Les aborigènes n'ont pas décidé de fixer leur création, une telle force ne se décide pas ! De même, le souci primaire n'était pas de montrer leurs créations. Cette démarche "pour apparaître" fut principalement occidentale. Les immigrés du vieux continent se sont fait éolienne pour soustraire de ce vent issu de dépressions hivernales un moyen de communication et de profit. Une véritable technique martiale...

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