DE L'OUBLI DU MOUVEMENT



Le poids de l'art contemporain

J'avais écris dans mon journal de bord :

"Europe, tremblante, cède à la violence" (Ovide, Métamorphoses, II, 8). Elle céda, certes, face à Zeus revêtu de la forme d'un taureau. Cependant, la "tête en bas" aux antipodes, c'est elle qui engendra la violence. L'héritage aborigène devait disparaître, et le sang de ces hommes se devait être mélangé à l'ocre du désert. La seule issue pour les autochtones fut de fondre leur culture dans la conception occidentale du monde.
Comme s'il fallait effacer un passé trop lourd, l'Australie tente désormais de rendre un âme aux traditions aborigènes par l'intermédiaire de l'art.
Hélas, il existe une corrélation ente les attentes du public et les motivations gouvernementales. C'est donc une vitrine "exotique", et trop souvent "anthropologique" (et donc passéiste) que les occidentaux observent : ils en oublient même la réalité.
Or, l'expression des aborigènes va bien au delà de celle que l'on stigmatise dans les musées, et leur histoire est loin de flotter sur un "long fleuve tranquille".
La renaissance culturelle aborigène n'avait pas attendu l'appui des autorités. Elle s'opposa, et s'oppose encore, au "politiquement correct".

D'ailleurs, entre Australiens, la question de l'intégration aborigène reste un sujet tabou.

Une étude de l'art contemporain indigène d'Australie est donc d'autant plus intéressante qu'elle s'inscrit dans une mouvance sociale très importante. La révolte dans l'art vient d'un sentiment d'angoisse présent dans de nombreuses communautés.
Parmi de nombreux peuples indigènes (forêt équatoriale, Papouasie-Nouvelle-Guinée), le "choc occidental" n'est pas apparu. Mais, il n'est pas objectif de regarder l'art indigène en Australie et en Afrique du Sud sans reconsidérer l'arrivée des Européens dans le processus créatif contemporain.

Des précurseurs

C'est au XIXème siècle que nous pouvons établir l'origine "originale" de nouvelles formes d'expression aborigène. C'est notamment par l'arrivée de matériaux nouveaux (comme le crayon ou le papier) et la rencontre de la culture européenne que des aborigènes se sont éloignés des dessins traditionnels. William Barak et Tommy McRae (c.f. "carnet de rêves") sont deux parmi les plus connus de cette époque. William Barak est originaire de Melbourne. A l'arrivée d'une communauté aborigène dans les environs de Coranderrk, il commença à dessiner des images évoquant principalement des activités cérémonielles. Son souci de réalisme était un désir de témoigner de la structuration des actes communautaires, qui reflète leurs relations sur le plan religieux et social. Tommy McRae s'attacha à montrer la vie quotidienne par l'intermédiaire de croquis sous forme de menues silhouettes pleines de fantaisie. Ses compositions diffèrent radicalement de la rigidité de l'image cérémonielle de Barak.
Ces deux artistes reçurent des commandes des Européens, fait à noter dans l'histoire des relations entre les deux groupes. Cet apport du XIXème siècle représente un héritage important pour les artistes urbains du XXème siècle.

Dans la première moitié du XXème siècle, l'Australe entra dans son "splendide isolement" qui écarta l'île-continent de tous les événements qui étaient en train de révolutionner l'art occidental. Tandis que cubistes, surréalistes, dadaïstes et d'autres se libéraient des canons épuisés de l'art européen et se tournaient vers l'art africain, amérindiens et océaniens, les Australiens s'intéressaient davantage à l'esthétique officielle des Salons, tout comme aujourd'hui ils intègrent dans leurs habitudes esthétiques les arts traditionnels au détriment de l' "art urbain".

Un art urbain

Compte tenu de son habituel emplacement géographique, on a tendance à nommer l'art contemporain aborigène l'art "urbain". Cependant, de nombreux "ruraux" peuvent être classés dans ce nom générique.
Il constitue le mouvement majeur actuel de l'expression aborigène. Dans ce milieu d'expression d'un malaise social présent en Australie, les mesures favorables du gouvernement et les aides financières n'existent pas. Il sert de prétexte aux détracteurs politiques des aborigènes (à savoir Mme Paulin Hanson, J.M. Le Pen national), qui voient dans ces oeuvres des preuves du déclin de la "tradition" ou des témoignages d'un mouvement kitch. Il est vrai que les spoliations territoriales et le racisme sont devenus les symboles prédominants de la lutte aborigène pour l'égalité.
La raison de tels opinions n'aurait-elle pas pour origine un éloignement des idiomes classiques de l'esthétique aborigène ? Bien que le grand public ait tendance à considérer les seules formes traditionnelles comme expression authentique aborigène, cet art n'a rien de secondaire. Seulement, il s'inscrit dans aucune catégorie préétablie.

Bien que la plupart des peintures soient encore chargées d'un contenu social et politique, l'éventail thématique a aujourd'hui tendance à se diversifier.
Nous nous arrêterons, dans notre "carnet de rêves", sur quelques oeuvres, pour comprendre la multiplicité des formes créatives et tâcherons de comprendre les élans expressifs des artistes.

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